Quelle place pour la microfinance en Europe?

Depuis sa création par Mohammad Yunus, la microfinance apparait comme un outil d’avenir, en rupture avec les systèmes traditionnels. En Europe, et particulièrement en Europe de l’Est, la microfinance est un secteur en pleine effervescence, avec une augmentation de 30% de porteurs de projets entre 2012 et 2018. Actuellement, 2.5 millions d’acteurs en bénéficient. L’European Microfinance Network (EMN) prévoit même la création de 4 millions de micro-entreprises et 7 millions d’activités informelles en cours de régulation.

Un modèle solidaire progressant doucement au cœur d’institutions reconnues

Originellement, la microfinance est destinée aux porteurs de projets dits « fragiles » par les systèmes financiers traditionnels. Cependant, elle sait s’ajuster à traver l’Europe aux contextes bancaires et aux politiques établies par les institutions gouvernementales en direction du marché du travail.

Dans le cadre de la législation française, les micro-entrepreneurs bénéficient d’un système garanti par l’Etat. En effet, le Fonds de Cohésion Sociale, créé par la Loi de programmation de cohésion sociale (LPCS, 2005) offre une garantie de l’Etat sur l’ensemble des microcrédits. Ce modèle permet, via l’accompagnement par un établissement bancaire agréé par le FCS :

  • Quand le microcrédit est remboursé (80% des cas), que le micro-entrepreneur profite du suivi prévu par la loi au sein du système bancaire;
  • Quand il y a défaut du micro-entrepreneur (20% des cas), que l’établissement bancaire soit remboursé par la BPI, à hauteur de 50% du prêt.

Les atouts de cette approche sont nombreux et essentiels. Tout d’abord, l’accès à des taux d’intérêts sensiblement proches de ceux appliqués en général sur le marché, et ne nécessitant que peu de cautions personnelles, offre une grande aide à tous les micro-entrepreneurs. De plus, ces crédits sont en priorité à destination de personnes en recherche d’emploi, voire en situation de marginalisation économique et sociale.

Cette politique d’aide offre à ceux qui en ont l’opportunité une indépendance, s’inscrivant dans une cohésion sociale défendue par la Stratégie de Lisbonne (dès 2000), puis par la stratégie Europe 2020, signée en 2010. Ce suivi, initié par le secteur bancaire, et permet à l’entrepreneur de construire pour l’avenir son expérience du monde financier traditionnel.

Des craintes naissantes autour de la pérennité des valeurs fondatrices

Certains observateurs, peu au fait du fonctionnement du secteur micro-financier, y voient un outil spéculatif. Quelques institutions micro-financières ont été pointées du doigt pour un comportement allant à l’encontre des valeurs originelles du secteur, notamment en délaissant les micro-entrepreneurs pauvres pour privilégier des porteurs de projet plus rentables et moins exclus socialement.

Cette crainte s’ajoute au constat, observable à l’international, de taux d’intérêt parfois abusifs : les montants prêtés étant moins élevés, l’intérêt perçu par l’organisme de prête est lui aussi plus faible.

De plus, les Instituts de Microfinance (IMF) ne reposent pas sur l’épargne de clients et, de ce fait, ne profitent pas de l’aisance d’offres de prêts des banques européennes. Le taux d’intérêt pratiqué par les IMF leur permettent de répondre à leurs besoins de financement liés à leur gestion et aux risques potentiels de non-recouvrement. Selon le CGAP, la moyenne pratiquée des taux en 2018 s’élèvait à 27%. En outre, toujours selon le même rapport seules 150 des 10 000 sources de microcrédit sont financèrement viables.

Cette pratique des taux permettrait à des organismes, des banques notamment, de présenter des taux similaires sans pour autant en avoir la nécessité. Cette éventualité fait naître de nouveaux doutes chez les détracteurs de la microfinance, notamment ceux qui redoutent une récupération capitaliste et rentable d’un projet solidaire s’inscrivant dans une rupture avec l’ordre financier traditionnel, et ce d’autant plus avec le recours des banques qui en sont le symbole.

Quelles réponses des politiques solidaires et du monde financier établi ?

En réponse aux critiques les plus virulentes, il évident que la recherche de la rentabilité via les taux n’est pas possible pour la banque. En effet, celle-ci, dans le cadre de la loi, se doit de rentrer dans un système conforme aux normes instituées par les politiques européennes.

Pour cette institution du monde financier traditionnel, ce processus d’accompagnement par l’inclusion économique lui offre l’opportunité d’accueillir un nouvel acteur. A court, moyen et long terme, le dispositif représente un bénéfice pour les deux parties.

En outre, en Europe de l’Ouest, le Return On Equity (ROE) du monde de la microfinance est négatif. Cela traduit le fait que le microcrédit n’apparaît pas comme un secteur rentable pour le moment, mais comme un outil des banques pour s’inscrire dans une dimension de responsabilité sociale (RSE), promue par les institutions gouvernementales.

Ces critiques envers les objectifs du microcrédit qui n’ont également pas lieu d’être

Dans les pays émergents où il s’est structuré, le modèle financier alternatif du microcrédit constitue un moteur de croissance et, surtout, un outil de lutte contre la pauvreté. En Europe, en revanche, il s’inscrit plus dans des démarches politiques de lutte contre l’exclusion sociale et d’opportunité de retour à l’emploi. De façon indirecte, la microfinance se présente comme un levier de lutte contre la pauvreté en offrant à ceux qui en bénéficient une opportunité de sortir de l’exclusion sociale par la création ou la reprise d’entreprise.

Par le passé, la microfinance a été maintes fois récompensée sur la scène internationale mais peu en raison de ses progrès sur le sol européen. Bien que le domaine se soit dans un premier temps développé en Europe de l’Est, son adaptation au système financier d’Europe de l’Ouest représente un véritable enjeu pour les objectifs d’inclusion sociale portés par des membres de l’Union Européenne. La confiance qu’accordent les institutions gouvernementales et financières de ces pays au microcrédit, notamment par le biais des banques, laisse présager un avenir radieux à son développement sur tout le continent européen.

Par Victor LAVILLE DE LACOMBE, Vice-Président de Dauphine Microfinance 2020-2021

L’essor du financement alternatif en Afrique

Longtemps considérée à la traîne, l’Afrique semble enregistrer un regain important pour la finance alternative ces dernières années. En 2018, selon le Global Alternative Finance Market Benchmarking Report [1] du Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), le marché a levé 209,1 millions de dollars sur le continent. Cela représente une augmentation de 102 % par rapport au volume de 2017, qui s’élevait à 103,8 millions de dollars, d’autant plus impressionnante qu’en 2013, son volume était seulement de 44,4 millions de dollars.

Malgré ce développement rapide, le marché de la finance alternative africain reste encore relativement nouveau et modeste. Sur le continent, elle est fortement reliée à la problématique de l’inclusion financière dans le sens où elle participe à démocratiser l’accès au financement de divers groupes. Des études suggèrent que la microfinance, ou encore le crowdfunding adapté sous certaines conditions, pourrait présenter un levier important pour le développement économique et social de l’Afrique.

Entre modèles formels et informels des formes de financement alternatif

Comme le définit le Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), la finance alternative se réfère aux processus et instruments financiers qui ont émergé des suites de la crise économique et financière de 2008 à l’origine d’une certaine défiance vis-à-vis du système bancaire traditionnel et des marchés de capitaux. Elle encourage ainsi une réappropriation de son argent au profit d’une économie réelle, de proximité par la mise en service d’outils, le plus souvent digitaux, de collaboration financière.

Les solutions de financement liées à cette nouvelle forme de financement changent d’un pays à un autre. En Afrique, il apparait que les plateformes informelles semblent bénéficier d’une plus grande popularité par rapport aux plates-formes de financement participatif formalisées, notamment en raison des coûts et d’un manque de confiance. En effet, les collectes de fonds se font notamment via les réseaux sociaux (comme WhatsApp, Facebook) qui sont ouverts à tous, ou par des transferts d’argent via téléphone portable. Par ailleurs, une majorité des services de microfinance est aussi liée à l’informel – à l’image des « tontines » ou des « banquiers ambulants » – dans des régions où l’inclusion bancaire est très faible. Néanmoins, des ONG et, depuis quelques années, des banques, concurrencent ces secteurs informels en développant des offres et services dédiés.

La microfinance, un accélérateur d’inclusion financière

Depuis son apparition dans les années 70, la microfinance ne cesse de proposer des services financiers adaptés aux plus démunis, surtout en Afrique où le taux de bancarisation est estimé à seulement 15%. La Banque africaine de développement suggère que la digitalisation des services financiers, entamée depuis une décennie, participe à accélérer cette inclusion financière. C’est notamment dû à l’essor des entreprises FinTech ou des opérateurs de réseaux mobiles qui proposent des produits et des services numériques innovants. Parallèlement, les banques et les institutions de microfinance traditionnelles s’engagent, elles aussi, de plus en plus dans cette numérisation. Par exemple, selon l’enquête du Consultative Group to Assist the Poor (CGAP) sur l’inclusion financière (FII), en 2017, la plupart des Ivoiriens qui accèdent aux services financiers formels le font via le mobile money. De plus, presque tous les adultes qui utilisent les services financiers des institutions financières traditionnelles (banques et IMF) utilisent également le mobile money.

Toujours selon la Banque africaine de développement, la crise du coronavirus a contraint les institutions financières à accélérer l’adoption de solutions numériques, afin de réduire les contacts physiques entre leur personnel et leurs clients, mais aussi pour diminuer les coûts dans un contexte de réduction des volumes d’affaires, des taux d’intérêt et, dans le cas des prêteurs, de risque de crédit accru. Aussi, ce processus s’accompagne, à des degrés divers, de mesures prises par les régulateurs pour promouvoir les transactions et les services de paiement numérique, ou encore d’une virtualisation de la main-d’œuvre. En effet, comme l’alerte le CGAP, le développement du mobile money peut amener à l’apparition d’une fracture numérique, dans laquelle les différences de compétences numériques de base vont conduire à des écarts dans l’accès aux comptes et aux services financiers. Les politiques ont donc une responsabilité première pour développer les compétences numériques et financières de base, tant pour les enfants, dès l’école primaire, que pour les adultes. Il est également suggéré de promouvoir des canaux alternatifs comme les réseaux d’agents bancaires.

Le Crowdfunding, un levier de développement

Alors que près de la moitié des PME et startups africaines souffrent d’un accès aux financements, selon Thierry Barbaut, consultant en stratégie digital en Afrique et en charge de la stratégie numérique pour La Guilde, la création d’un cadre favorable au développement du crowdfunding permettra à l’Afrique d’apporter de nouvelles sources de financement adaptées aux besoins de ces entrepreneurs :

  • Les plateformes de crowdfunding en prêt et en investissement se révèlent être une solution efficace de par leur accessibilité, la rapidité de leur mise en œuvre et leur gestion mutualisée des risques pour renforcer les fonds propres des entreprises et financer leurs besoins de fonds de roulement.
  • L’equity crowdfunding apporte une solution de financement en capital adaptée aux startups et aux projets innovants qui manquent de financement à cause de leur caractère risqué. C’est également un outil promotionnel puissant permettant aux projets de rayonner au-delà des frontières de leur pays d’implantation.
  • Le crowdfunding comble un vide dans la chaine de financement des entreprises (equity gap) en finançant les startups et les PME dans les premières phases de leur développement (amorçage, R&D, création etc.). Ainsi, les entreprises pourront bénéficier d’un effet de levier et accéder à d’autres sources de financement plus conventionnelles (banques, fonds d’investissement etc.).

Il a été montré que la croissance du marché de la finance alternative africain s’explique en partie par une amélioration de l’environnement réglementaire ces dernières années. En 2020, trois pays, à savoir l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, ont adopté un cadre juridique qui encadre les activités de financement collaboratif, ce qui représente un avantage unique pour le développement des écosystèmes FinTech nationaux. Néanmoins, la règlementation de cette activité demeure encore un enjeu majeur pour le continent.

A l’heure actuelle, le crowdfunding participe pleinement à la lutte contre le Covid-19 en Afrique. Par exemple, au Burkina Faso une plateforme de financement participatif baptisée Coronathon a permis à plusieurs acteurs, parmi lesquels des membres du gouvernement, des patrons de grandes firmes et de TPME ainsi que la loterie nationale burkinabée, de contribuer massivement à la gestion de crise du Covid. Par ailleurs, l’Association des plateformes de crowdfunding en Afrique s’est elle aussi mobilisée pour contribuer aux levées des fonds en faveur de la lutte contre l’épidémie.

Comme le souligne l’Agence française de développement, la microfinance est aujourd’hui une composante essentielle du système financier dans les pays du Sud, mais elle a encore de nombreux défis à relever, à commencer par rester un outil au service du développement et de l’inclusion financière des populations, tout en maintenant l’équilibre entre sa mission sociale et sa viabilité économique.


[1] Ce rapport regroupe les informations de plus de 1227 entreprises dans les 185 pays regroupés par régions, en collaboration avec des partenaires de recherches.

Par Jenny Sandra Randriamaherimanana